Si la région du café de Colombie est bien connue, certaines de ses routes restent secrètes et en dehors des itinéraires touristiques. Pour s’approcher de la réserve Otun Quimbaya en Colombie nous avons dû emprunter une route vertigineuse où il vaut mieux ne pas croiser une voiture, encore moins un camion et quoi qu’il en soit… avoir une grande confiance en votre chauffeur.
Photo Julia Rugens
Il nous reste deux kilomètres de piste avant d’atteindre l’endroit où nous allons passer la nuit. Soudain, notre hôtel surgit au milieu de toute cette végétation épanouie et sauvage : un ensemble de quelques constructions colorées en bois, aux toits en tuiles.
Photo Julia Rugens
Notre chambre est au rez-de-chaussée, épurée où des branches enlacées et séchées servent d’abat-jour à la seule ampoule dans la pièce. La déconnexion est totale : pas de téléphone, ni télévision, ni internet, ni wi-fi… à la place une pancarte accrochée au mur « Turn off the light of your room and turn on your imagination ».
La nuit tombe, je sors et je suis contente d’avoir mon portable dont la seule utilité est sa lampe torche. Cette nuit nous allons explorer la forêt, accompagnées bien évidement par un guide que nous rassure que depuis quelques années déjà on n’a plus enregistré de passages de bêtes dangereuses : les pumas « semblent » être partis plus haut dans les montagnes.
Photo Julia Rugens
Nous empruntons le chemin à travers la forêt humide…qui respire comme une bête vivante avec des bruits étranges. La lune nous éclaire le chemin tandis que notre guide nous explique que la vie nocturne tourne autour de trois composantes de la vie sauvage : la reproduction, la chasse et l’agressivité… Démonstration vite faite : avec le cri nocturne d’un hibou enregistré sur son portable, il arrive à faire venir un mâle imposant que nous allons observer pendant quelques minutes. Il nous parle ensuite des singes hurleurs qui attirent leurs femelles grâce aux composantes chimiques présentes dans l’urine qu’ils n’hésitent pas à répandre. Pour nous rassurer en cas de rencontre inattendue, il explique qu’ils sortent de leurs poumons un cri atroce et épouvantable qui ressemble à celui d’un lion ou d’un tigre en colère.
Après plusieurs minutes de marche on nous propose une expérience saisissante… Celle de l’isolement dans cet univers végétal, sans personne à nos côtés. Bien que nous soyons entre femmes, aucune n’a envie de se montrer trouillarde…
Pointées comme des sentinelles à 800 mètres l’une de l’autre, nous nous retrouvons seules face à la forêt tropicale… dans le noir absolu. Cette exercice amène à éveiller tous nos sens. La raison me dit que s’il y avait un danger, on nous aurait jamais laisser comme ça … mais que sais-je ? Est-ce si sûr ? …
Ma vision nocturne met de longues minutes à s’activer, mes oreilles par contre, unique interface avec l’environnement inconnu, sont « dressées » de suite. Je me rends vite compte que je ne suis pas seule. La vie est palpable, je la sens, je l’entends, la forêt est bourrée des bestioles invisibles. Elles sont peut-être petites ou minuscules, pas dangereuses, voire apeurées mais elles sont là, nombreuses et je ne les vois pas ! Tous ces petits bruits, des feuilles dérangées par le vent, un fruit tombé, un ruisseau, un cri d’oiseau, ou une branche qui craque sous la patte d’une bête peut-être. Je me plaque contre un arbre pour protéger mes arrières. Je sens vite dans mes cheveux une toile d’araignée et des gouttes de pluie sur mon visage. Et ça, … si c’était un singe hurleur en chasse d’une femelle ???
Progressivement j’accepte mon sort ; je me mets debout face à la Nature qui me regarde comme un corps étranger, semblable à une épine sous la peau. Je sens sa respiration humide sur mon visage et soudain j’ai envie de m’étirer. Au milieu de la forêt tropicale colombienne plongée dans les ténèbres nocturnes, emplies de sons et d’odeurs étranges, parisienne que je suis, j’entame ma séance de gymnastique pour dissiper ma peur – et m’échauffer au cas où il faudrait se défendre, entourée tout à coup de lucioles…
Photos Julia Rugens
Le lendemain, à peine entrées dans la forêt, la pluie tropicale s’est abattue sur nous avec rage. Tout est démesuré dans cette forêt humide où la végétation luxuriante s’épanouie sous le soleil, plongeant ses racines dans la terre fertile. De ce fait, chaque goutte produit un bruit de tambour. On est vite isolé par ce bruit et on avance en file indienne en faisant attention aux racines apparentes qui, comme des serpents, guettent un faux pas. J’ai des bottes de pluie, un poncho et un chapeau, bien protégée en principe. Mais l’eau, comme la vérité intime dont on se protège, fini par trouver une faille. Je sens une goutte parcourir ma peau, faire une halte au soutien-gorge avant de descendre jusque au nombril. Je tire mon poncho en arrière mais je sens déjà une autre goutte foncer comme sur autoroute, freinée par les dos d’âne des vertèbres. Et bien tant pis ! Je vais être mouillée ! En plus en réfléchissant bien, ce n’est pas si désagréable !
Photos Julia Rugens
Nous finissons notre balade complètement trempées mais étrangement, cela nous aura fait un bien fou ! La thérapie des sens, dont on nous a parlé la veille avant notre expédition nocturne, consiste à se mettre en contact direct avec la Nature : la pluie s’avère d’être une véritable eau de vie qui nous apaise, nous ressource… on s’abandonne à la vie… Et je n’ai qu’un seul envie de parcourir d’autres routes secrètes de la Colombie, aller plus loin encore que la région de café et dénicher d’autres Otun Quimbaya. Prenez la route !
Julia Rugens
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