3 tombes célèbres à Buenos Aires et des cercueils voyageurs !
Il est des personnages dont le seul nom évoque un pays. Pour l’Argentine, le général San Martin, Eva Peron et Carlos Gardel, en font partie. On y retrouve partout la trace du premier, certains politiques continuent à se réclamer de la doctrine du mari de la seconde et le troisième appartient à l’identité nationale : qui oserait dire que le tango n’en est pas une composante importante ?
Lors de mes séjours à Buenos Aires, j’ai souhaité me rapprocher concrètement de ces icônes et l’idée m’est venue de rechercher l’endroit où se trouvaient leurs tombes et d’aller leur faire une visite post mortem. Il était bon, en préalable, d’en savoir un peu plus à leur sujet et j’ai ainsi découvert leurs destins funéraires mouvementés. De quoi confirmer les dires d’un journal sur la « morbide vocation nécrophilique » et le « culte inextinguible pour les morts et les cadavres » que l’on trouve là-bas. J’ai aussi constaté, qu’on semblait adorer y faire « déménager » les cercueils !
Photo : Monica Volpin – Pixabay
Un Libertador encombrant…
C’est le tombeau du Général « Libertador » San Martin qui a eu l’heur de ma première visite. Rappelons qu’il fut à l’origine de l’indépendance de l’Argentine en 1816, comme de celle du Chili, et qu’il aida Bolivar à libérer le Pérou, succès dont ce dernier refusa de partager avec lui la gloire. A son retour en Argentine, San Martin fut contraint de s’exiler par la méfiance de ses compatriotes, qui craignaient de le voir se muer en dictateur. Il partit en Europe et mourut en 1850, à Boulogne sur mer où on l’enterra dans la crypte de la cathédrale. En 1861, il sera transporté au cimetière de Brunoy, sans que j’aie pu trouver pourquoi. Et en 1880, le gouvernement argentin décida de le faire rentrer au pays et de l’inhumer dans la cathédrale de Buenos Aires, dont son mausolée est la grande attraction.
Ce n’est peut-être pas la fin de ses voyages ! En 2008, un député a souligné que, sans en nier la qualité, sa sépulture n’était pas à la hauteur du personnage et a proposé de le transférer au cimetière de la Recoleta, dans un monument à construire, qui soit enfin digne de lui ! Attendons…
Le tombeau actuel, n’est effectivement pas grandiose et son emplacement dans la chapelle de Notre Dame de la Paix, sur le côté droit de la cathédrale, est assez discret. Sculpté par le français Carrier Belleuse, gagnant du concours organisé à cette fin, il mélange marbre rose, marbre rouge et marbre noir. Trois statues de femmes y symbolisent les trois pays qu’il avait libérés. Non loin de là, reposent le soldat inconnu de l’indépendance argentine et trois généraux.
Si l’on « gratte » un peu, il y a dans ce tombeau une particularité intéressante, mais qui ne se voit pas. San Martin était franc maçon et se trouvait, du fait des règles de l’Eglise, interdit d’inhumation dans une enceinte sacrée. Pour tourner la difficulté et passer outre, on choisit de placer le monument sur la marge de la cathédrale et d’y insérer le cercueil d’une façon particulière : il est incliné et le cadavre s’y trouve la tête en bas…prêt à partir vers l’enfer auquel son impiété le destine ! Une garde d’honneur de deux Grenadiers en tenue d’apparat veille en permanence sur les lieux, où brûle une flamme « éternelle ».
La Madone des Justicialistes
Quand la blonde Evita, épouse de Juan Domingo Peron, Président de la République, mourut d’un cancer le 26 juillet 1952, à 33 ans, son corps fut embaumé et des centaines de milliers de fidèles en pleurs défilèrent pendant des semaines devant sa dépouille exposée dans les locaux du syndicat CGT. Pilier du « justicialisme », la doctrine de son époux, elle avait eu la haute main sur les affaires sociales du pays à travers une Fondation qui portait son nom et dont le rôle était d’assister les pauvres. Très présente sur la scène médiatique où elle animait sa propre émission de radio et répondait directement à son courrier, elle était devenue l’objet d’un culte de la personnalité : son nom et son image étaient partout. On en fit même le « chef spirituel de la Nation » !
En 1955, Peron fut renversé par un coup d’Etat et contraint de fuir en Espagne. Le risque de voir le corps exposé d’Evita devenir un encombrant lieu de pèlerinage, conduisit les nouveaux dirigeants du pays à décider de le faire transporter en secret à Milan et à l’y enterrer, avec l’aide du Vatican, sous une fausse identité. Seule une petite poignée de personnes – dont le Pape – connaissaient l’endroit où se trouvait sa dépouille et à peine trois autres, dont les dirigeants argentins, étaient au courant du fait que la « première dame » du pays se trouvait quelque part en Italie. En 1971, le pouvoir Argentin autorisa l’exhumation du corps et son transfert auprès de Peron en Espagne. Celui-ci rentré au pays en 1973 et réélu Président, mourra en 1974 alors qu’on rapatriait Evita en Argentine. Elle fut brièvement exposée au public, puis enterrée à Buenos Aires au cimetière de la Recoleta, dans la tombe de sa famille, les Duarte.
Ce cimetière, second en importance des trois que compte la ville, est adossé à l’église de Nuestra Señora del Pilar et on y pénètre par un grand portail à colonnes. Il compte quelque 4 800 sépultures, posées sur le sol selon l’usage sud-américain et est quadrillé par des « rues » et « ruelles », le long desquelles s’alignent les édifices funéraires, qui sont souvent d’une grande richesse architecturale.
On y trouve d’anciens présidents du pays, des poètes, des sportifs, des écrivains, et, bien évidemment, les familles de la classe dirigeante. En fait, tout le gratin de la République… On y voit aussi de multiples chats abandonnés, que des voisins viennent nourrir le soir.
La tombe qui nous intéresse, se trouve à gauche de l’entrée, au niveau de la grande allée qui coupe en deux le cimetière. Elle n’a rien de spectaculaire et ressemble à un sombre « bunker », bardé de plaques votives et hermétiquement clos par une lourde porte et une grille. Impossible de ne pas penser qu’on a voulu prévenir tout enlèvement de sa célèbre occupante !
Aujourd’hui encore, la menace plane : depuis le transport en 2006, du corps de son époux à San Vicente, à 52 km de Buenos Aires, où il possédait une résidence transformée en musée pour 880 millions d’euros, des voix s’élèvent pour demander qu’elle l’y rejoigne.
Jusqu’ici, la famille Duarte s’y est énergiquement opposée, mais qu’en sera-t-il demain ? Evita va devoir, peut-être, encore faire ses valises.
Quoi qu’il en soit, ses fidèles sont toujours là, qui viennent accrocher des fleurs dans la grille de sa porte ou déposer des bouquets à son pied. Lors de mon passage, j’avais surpris une vieille dame en noir qui y glissait avec dévotion une rose rouge, avant de disparaître à pas menus… sur la pointe des pieds, pour ne pas la réveiller, sans doute.
L’éternel « Tanguero »
Carlos Gardel, le troisième de nos personnages était surnommé le Zorzal criollo. Il était né en France et était arrivé à Buenos Aires à 2 ans, en 1893, avec sa mère, une repasseuse célibataire et sans argent. Vivant dans le quartier pauvre d’Abasto, il y découvrit les cafés où passaient des chanteurs ambulants et en 1906, après avoir quitté l’école, il commença à s’y produire. En 1910, il changea son nom en Gardel et l’année suivante, rencontra le guitariste José Razzano, formant avec lui un duo qui devint rapidement populaire : ils firent ensemble plusieurs tournées à l’étranger. Gardel se tourna ensuite vers le tango chanté, faisant souvent scandale à cause de paroles sulfureuses. A partir de 1925, il fera carrière en solo, entre l’Argentine et l’Espagne, puis triomphera à Paris en 1928. Le tango est alors devenu populaire dans toute l’Europe et aux États-Unis et Gardel en est la star incontestée, engagée même par la Paramount pour plusieurs longs-métrages musicaux. Au début de 1935, il repart pour une tournée en Amérique latine et meurt en Colombie dans un tragique accident d’avion. Ses restes prirent le bateau pour revenir à Buenos Aires où il fut enterré au cimetière de la Chacarita. Il n’en a pas bougé depuis et c’est donc le moins voyageur des trois…jusqu’à ce jour !
Avec une surface de 95 hectares, Chacarita est le plus grand cimetière de Buenos Aires et l’un des plus grands du monde. On l’avait créé en 1871 pour accueillir les innombrables victimes d’une épidémie de fièvre jaune.
Il est plus calme et plus champêtre que celui de la Recoleta, moins bien entretenu aussi. On y entre, comme dans le premier, par un portique à colonnes qui débouche sur un ensemble de « cuadras » de mausolées et tombeaux de famille. Imposants et travaillés, riches en vitraux et sculptures, ce sont les témoins muets d’une époque révolue et beaucoup sont malheureusement à l’abandon. On voit aussi à Chacarita, d’impressionnantes galeries de niches funéraires : chacune en abrite environ 50 000 qui contiennent ossements ou cendres. Plus loin, on trouve des sépultures « classiques » avec deux secteurs privés : le cimetière allemand et le cimetière britannique.
Mais venons-en à notre héros. Sa tombe n’étant pas signalée, voici le secret qui la dévoile : elle est à l’angle des Calles 6 et 33…mais vous n’aurez probablement pas à chercher : il vous suffira de suivre les « fidèles ».
Soudain, Gardel sera devant vous, élégante silhouette de bronze souriante, en frac et fumant la cigarette, avec un bouquet de fleurs fraiches sur l’avant-bras gauche. La ferveur de ses admirateurs entretient scrupuleusement le rite depuis des décennies et ce, dans plus grande discrétion : le remplacement d’une cigarette presque consumée m’a totalement échappé, alors que j’étais tout près !
Autour de la statue, une pleureuse et des dizaines d’ex-votos dans toutes les langues. Certains sont rongés par le temps, mais d’autres tout neufs, prouvent la persistance des hommages. Sans compter les graffitis… C’est que les textes sont de toute nature et certains réellement émouvants : prenez le temps de les lire, surtout si vous comprenez l’espagnol.
Savez-vous que les habitants de Buenos Aires, les Porteños, disent toujours du Zorzal, que « chaque jour, il chante un peu mieux… » ?
Bonus
Les cimetières de Buenos Aires sont vraiment pleins de surprises. Lors d‘une promenade à la Recoleta, j’avais été intrigué par un étrange tombeau. Qui étaient ces personnages dos à dos, réunis dans une même tombe ? L’explication valait d’avoir été cherchée : Eminent et riche juriste, puis vice-Président du pays, Salvador Maria del Carril avait fini par être excédé par les dépenses de son épouse. Il décida d’adresser à tous les commerçants chez qui elle se fournissait, une lettre les informant qu’il refuserait désormais de payer ses achats.
Fureur de l’intéressée et début d’un enfer conjugal. Elle ne lui adressa plus la parole pendant 25 ans ! A sa mort, on fut étonné de la voir faire édifier pour lui, un imposant monument funéraire. Mais c’était seulement pour poursuivre sa vengeance : il y figure assis dans un fauteuil, regardant l’horizon, tandis que, l’air sévère, le buste de son épouse lui tourne le dos, pour l’éternité !
A Chacarita aussi, un monument original avait attiré mon attention. C’était la tombe de Jorge Newberry, un aviateur argentin qui avait péri en tentant de traverser les Andes (l’aéroport des lignes intérieures porte son nom). Un groupe de touristes écoutait les explications d’un guide qui evoquait la terrible barrière de la cordillere et la symbolique que, selon lui, portait le monument : les cinq Condors représentaient les doigts de la main cruelle qui s’était opposée à son passage.
Pourquoi donc étais-je, au même moment, en train d’y voir, avec perversité, des charognards en train de contempler leur futur casse-croute ?
(Photos Turismo Buenos Aires et DR)
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